Clown

Clown à l'hôpital

J'ai travaillé pendant 15 ans comme clown à l'hôpital avec l'association Theodora en tant que Dr. Coûcoû. J'ai travaillé essentiellement à l'Hôpital Robert Debré à Paris ainsi qu'à l'Hôpital de Compiègne et de Pontoise. C'est  une expérience humaine et artistique très riche, intense où j'ai surtout appris, ris, ressentis très fort et partagé.

 

Toute la difficulté est de trouver la justesse pour approcher la douleur, la souffrance de l'autre à travers le personnage du clown et d'apporter à l'enfant et aux familles quelque chose de frais qui pétille, qui fait rire ou qui apaise, une certaine magie qui leur permet l'espace d'un instant d'ouvrir une fenêtre et de prendre une grande bouffée d'air.... 

 

Notre travail consiste à aller voir les enfants dans leur chambre, seul ou à deux clowns. La fréquence des visites a été de 1 à 2 par semaine selon les périodes.

 

C'est également un travail d'équipe car on déambule à deux au minimum dans les services et les duos ne sont jamais les mêmes. On doit composer pour créer un véritable duo, ce qui n'est pas toujours aisé... 

 


Voici deux témoignages de visites d'enfants entre autres que j'aimerais vous faire partager:

 

Service de chirurgie viscérale Hôpital Robert Debré

Chambre 22 Gaetan 11 ans

 

C’est moi, Dr. Coucou, je toque à la porte, regarde par le hublot. La maman me fait signe d’entrer.

 

Gaetan est au téléphone et dit spontanément en me voyant, « Ah, y a encore ça…!!» et heureusement ajoute     « …bon, je te laisse, y a un clown ». Je m’aperçois asse vite que ça va être dur, Gaetan n’est pas du genre à se laisser attendrir ni émouvoir. Il résiste. Il « casse » toutes mes tentatives d’approche. Aï, aï, aï…

 

Après un moment de flou artistisque je me dirige vers la porte (sans savoir du tout ce que je vais bien pouvoir faire), l’ouvre et au même moment un sac plastique posé sur la table juste à côté «  bouge » d’une manière incroyable, il vient vers moi! Quand je referme la porte il se couche de l’autre côté! Je suis stupéfaite, littéralement sidérée.… « woahou »….

 

Je r’ouvre et ferme la porte je ne sais combien de fois, le sac vient et se couche à chaque reprise. Miracle, ce sac est vivant! Gaétan est sans voix, il est visiblement touché, la magie opère (je jubile à l’intérieur). Nous continuons en imaginant que les objets, les poussières, les machines, les murs sont vivants et vibrent même dans l‘immobilité et le silence apparents…..

 

Service de pédiatrie à Compiègne

Duo Dr. Tiguili et Dr. Coucou. Chambre 91, Milan 15 ans est en fin de vie avec un cancer généralisé.

 

Nous frappons à la porte qui est entre-ouverte. Milan est seul, complètement recroquevillé dans son lit, en position fœtale. Il nous répond d’une voix à peine audible, nous nous approchons. Ses grands yeux bleus remplissent son visage très amaigri. Je finis par lui poser la question:

 

-  « de quoi as-tu envie? » Il me répond derechef:

- «  je voudrais des billes »

- « des billes? »

- « oui, j’ai envie de sentir des billes dans ma main »

- «  ah, oui. » (Je comprends exactement la sensation qu’il recherche) 

- «  des billes, des billes… mais j’ai pas de billes moi, t’en as toi Dr Tiguili? »

 

Et non, elle n’en a pas non plus. Nous voilà parties dans un jeu de superwooman en action de « cherchage de billes » et décidons de partir en mission pour ramener le précieux trésor. Il sourit. Nous nous retrouvons devant sa porte deux heures plus tard assez piteuses avec en guise de butin un collier de perles en plastique et une balle de baby foot!!!

 

Toc, toc, toc, on entre dans la chambre. L’ambiance a complètement changé: plusieurs membres de la famille sont là assis en rang d’oignons sur la banquette. On joue la déconfiture totale qui se rajoute à l’ambiance méga lourde! Milan n’a plus envie de « jouer ». Il se retourne et allume la TV. On se retrouve comme deux ronds de flan, bégayons qu’on reviendra et cette fois avec le vrai trésor!!.

 

Le lundi suivant je suis sur le planning pour aller à Compiègne. Je pars avec les cinq billes que m’a donné mon fils. Cette fois, j’y vais seule. Milan est toujours là.

 

- « C’est moi, Dr Coucou, j’ai rapporté le trésor!! »

 

 Il fait mine tout d’abord de ne pas se souvenir puis une main sort brusquement de sous les draps prête à accueillir les fameuses billes. Il les prend dans sa main, les presse, les fait rouler les unes contre les autres. C’est ça, c’est cette sensation là.

 

Il les fait passer une à une devant ses yeux pour les inspecter. Je pars dans une énumération de noms de billes fabuleux: les agathes, les calos, les araignées, les hélices, les goutes d’eau, les amerlocs…Non, il n’a pas envie de ces images là.

 

- « Je voudrais une boite pour les mettre à l’intérieur! »

- « Ok boy, je vais te trouver ça! »

 

Même jeu que la dernière fois. Je sors et finis par trouver une petite boite ronde dans laquelle les billes serrées les unes contre les autres dessinent une fleur. Je souris. En entrant dans la chambre une seconde fois la famille est là avec la voisine en plus. Je m‘appuie sur sa présence pour faire rebondir les blagues.

 

Allez, cette fois, on est tous dans le même bateau, on va partir ensemble vers le large renifler les embruns, prendre le vent en pleine poire. Je mets la gomme!! Il est heureux, je le vois, il bouge, lui qui a si peu de force; ça rit, ça parle, ça s’envoie des piques, ça vide son sac. On passe en revue tous les cris d’animaux, pas un n’ose se mouiller à part Milan qui tout d’un coup dit:

 

- « Moi, je veux bien faire la vache"

 Meuhhhhh…. »

 

J’ai les poils dressés comme des piques sous ma blouse.

Quinze jours plus tard, Milan n’est plus là.